Je vous l’accorde, il y avait une meilleure façon de commencer ce mois de septembre. Mais le Phylloxera est tellement ancré dans notre histoire viticole qu’il est indispensable de le connaître. Puceron attaquant les racines de la vigne, le Phylloxera fit d’énormes dégâts sur le vignoble français mais aussi étranger.
C’est sans doute la catastrophe agricole la plus importante en France…
(Des symptômes imposants… source : https://www.scmp.com/)
1863 : Premières observations
Les vignes françaises sont touchées et certains vignerons s’inquiètent. En effet, les feuilles des vignes deviennent “galeuses”… Très vite, on comprend que l’on est face à une situation inhabituelle, surtout après avoir vécu l’arrivée de l’Oïdium (une autre maladie) en 1955, qui avait déjà donné du fil à retordre aux viticulteurs.
Pendant ce temps en Angleterre, à l’université d’Oxford, un professeur du nom de J.O Westwood examine les feuilles qu’un correspondant lui a envoyé. Il remarque les galles formées sur les feuilles et même les pucerons, mais curieusement, il se contente de prendre quelques notes qu’il ne publiera pas.
1866 - 1868 : L’expansion
Durant ces années, le Phylloxera se fait malheureusement sa place dans le décor viticole français. Porté par le vent sur de longues distances, il se transmet d’un vignoble à l’autre, faisant périr bon nombre de pieds de vigne sur son passage. Le puceron à proprement parlé est identifié pour la première fois en 1868 par trois experts envoyés sur place : Jules Émile Planchon, Gaston Bazille et Félix Sahut. La découverte est réalisée sur des racines de vignes à Saint-Martin-de-Crau, le 15 juillet 1868.
Clairvoyants, ils se décidèrent à arracher un cep encore vivant pour observer ce qu’il se passe dans les plants touchés… Surprise ! De milliers de petits points jaunes sont observés sur la souche, le puceron est alors décrit et le problème déterminé.
Ils s’aperçoivent également que ce puceron n’affaiblit pas seulement la vigne comme ce que fait l’Oïdium mais, il le fait périr. Il faut agir vite et les trois hommes le comprennent rapidement, ils écrivent des comptes-rendus, afin de les diffuser dans tout le vignoble du Midi. Voici un extrait :
"Quelque peu agréable que soit le rôle de prophète de malheur, il est de notre devoir de faire connaître la pénible impression que nous rapportons de Provence, et de sonner le Tocsin d'alarme… Le mal est déjà immense, il a un caractère contagieux auquel on ne peut se méprendre, et si le fléau ne disparaît pas comme il est venu, si un remède prompt et énergique n'est pas trouvé, avant dix ans la Provence n'aura plus une seule vigne ... Le Languedoc est bien près du foyer du mal, il est même envahi sur quelques points; il ne suffit donc pas de nous apitoyer sur le sort de nos voisins. Il faut veiller à notre propre conservation. Le Midi tout entier serait bien vite ruiné par cette terrible peste".
Planchon, de son côté, dès le 17 juillet se rend chez un spécialiste du nom de Donnadieu pour observer l’insecte au microscope. Notre protagoniste décide de lui donner le nom de “Rhizaphis vastatrix”, ce fut les premières mentions scientifiques de l’insecte. Mais Planchon, avait adressé des pucerons au Docteur Signoret (entomologiste parisien) en amont, ce dernier répondit qu'il avait reconnu dans cet insecte un Phylloxera (certains vivent sur les chênes provoquant le dessèchement des feuilles). Le puceron de la vigne fut finalement renommé en Phylloxera Vastatrix.
À ce moment précis, on ne s’attendait pas encore à ce que la maladie touche toute la France. Pourtant, le message arrive tout de même jusqu’à Paris, où des doutes étaient émis par les spécialistes qui ne cherchèrent même pas à se déplacer. Et oui, il était difficile pour eux de s’imaginer un puceron dévastant tout un vignoble !
(Représentation d’un Phylloxera. source : https://fr.wikipedia.org/)
1869 : Un pas en avant
Nos trois spécialistes bataillent toujours pour prouver que le puceron est bien la cause de la mortalité des vignes. C’est une véritable course contre la montre puisque le Phylloxera, quant-à lui, n’attend pas et continue sa destruction. C’est notamment Jules Émile Planchon qui réalise des conférences pour démontrer ce qu’il avait découvert. Face à lui, les personnes sont sceptiques, car lorsque les plantes dépérissent et sont en quelque sorte moins juteuses, les pucerons les abandonnent. On peut ainsi croire à l'innocence de l'insecte puisque les souches qui dépérissent en sont dépourvues.
Les différentes commissions ainsi que les agriculteurs sont impuissants face à cet élément néfaste. Plus le temps passe et plus les spécialistes en apprennent sur la bête et son fonctionnement. Ils se rendent compte qu’elle émigre alors vers d’autres racines en bonne santé. Son cycle de reproduction est diabolique : par parthénogénèse (= sans s’accoupler), par ponte d’œufs sexués et non sexués ou par accouplement avec des mâles dont c’est l’unique fonction. C’est par plusieurs millions que le puceron se reproduit en quelques mois…
1869 - 1879 : Et si on avait la solution ?
Face à la prolifération, différents moyens sont mis en oeuvre de part et d’autres du vignoble. L’un de ces moyens est de planter des vignes venant d’Amérique, pour espérer trouver une espèce qui résistera. Avec le temps, certains viticulteurs remarquèrent que les seuls plants qui ont su résister à l’attaque sont ceux venant des États-Unis.
Plusieurs chercheurs se posèrent alors sur le problème et découvrirent que les plants américains restaient en bonne santé malgré la présence du Phylloxera aux États-Unis. Plus flagrant encore, ils ont compris pourquoi les premiers foyers d'attaque du Phylloxera en France se situaient toujours à proximité de parcelles couvertes de vignes américaines mais pas dans ces dernières, demeurées indemnes.
Ils se mirent également à repenser à l’histoire de la vigne et s’aperçoivent que, dans le passé, l’exportation de vignes européennes sur le continent américain ne donna pas de bons résultats alors qu’à l’inverse, cela fonctionna à merveille. Seul point négatif, les caractéristiques organoleptiques* des plants américains n’étaient pas vraiment… plaisantes. Les vins élaborés grâce à ces plants avaient un goût peu apprécié par les palais français.
Faire du vin c’est bien, mais un bon vin, c’est mieux !
Les chercheurs vont alors plus loin en essayant de greffer des plants sur un porte-greffe américain. Cela veut dire qu’ils gardent les caractéristiques organoleptiques des plants européens (greffon), tout en ayant la résistance du système racinaire américain (porte greffe). C’est notamment un ampélographe du nom de Victor Pulliat qui fut l’un des premiers à expérimenter cette greffe. Plusieurs centaines voire milliers d’essais ont été réalisé, pour espérer trouver la solution le plus rapidement possible.
Les dégâts sont essentiellement localisés dans le sud de la France (vignoble du Languedoc, région de Bordeaux, Provence…) mais en 1879, toute la France est concernée et on note une baisse de la production. Pour vous donner une idée, la production du pays avant Phylloxera était d’environ 40 à 70 millions d’hectolitres par an. Suite à l’attaque, la production fut limitée à 25 millions d’hectolitres…
1880 - à nos jours : La reconstruction
La solution de la greffe étant trouvée et testée sur des milliers de plants, il faut maintenant la reproduire dans tout le pays, on entame les décennies de reconstitution du vignoble. Les dégâts sont innombrables : dans le Midi de la France par exemple, le vignoble a déserté les coteaux pour s’installer dans les plaines. La vigne disparaît définitivement dans le bassin parisien et dans certaines régions du Centre et du Sud-Ouest.
On peut également parlé de la région de Cognac qui a vu sa surface plantée passer de 285 000 hectares à seulement 70 000.
Le phylloxera n’a pas simplement touché les vignes mais l’économie tout entière. De nombreux vignerons ont mis la clé sous la porte, rendant la vie familiale plus compliquée financièrement. Certains réagissent différemment en tentant leur chance à l’étranger, dans les pays du Nouveau Monde (Chili, Argentine…).
À partir de 1883, certains vignobles se relèvent petit à petit comme celui de l’Hérault, où un quart de celui-ci était déjà greffé. Ces efforts seront interrompus avec les deux guerres mondiales qui toucheront le secteur viticole par un manque de main d’œuvre, puis reprendront par la suite mais ça… c’est une autre histoire.
Aujourd’hui, les caractéristiques du Phylloxera sont assimilées, on sait par exemple qu’il ne se développe pas dans les sols sableux. Voilà pourquoi il est possible de planter en franc de pied (= non greffé) dans ce type de sol même si cela reste rare.
Les vignes françaises ne seront plus jamais les mêmes car, ce qu’il faut retenir, c’est que le Phylloxera se trouve toujours sur nos terres, prêt à éliminer les vignes en franc de pied. Certains diront que c’est une défaite pour la viticulture puisque il est toujours présent et qu’il faut vivre avec. D’autres diront que les vignerons et vigneronnes de cette époque ont su réagir car il a fallu développer des connaissances nouvelles (en morphologie, agronomie, etc), pour faire face à cet événement dont ils ne connaissaient rien…
En vous souhaitant de futures belles dégustations…
À bientôt